Diane Jodes

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artiste plasticienne - dessin, gravure, peinture, objets

www.dianejodes.com
  • 01 Who Wants to Live Forever 100 x 100 cm, peinture acrylique sur toile To Save Time… globe en verre gravé laser diamètre 10 cm hauteur 18 cm objet assemblage, pièces montres etc.
  • 02 Zum Kuckuck 100 x 100 cm, peinture acrylique sur toile
  • 03 Four Seasons 4 peintures acryliques sur toile 50 x 50 cm
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Petites capsules temporelles

À propos de l’exposition de Diane Jodes 

As Time Goes By 

Commissaire d’exposition Danielle Igniti 

Le centre d’art Nei Liicht habité par Diane Jodes est devenu une maison. Une maison un peu particulière : peintures, objets sculptés et mots discrets écrits au crayon donnent les indices d’un cheminement et une horloge emblématique occupe chaque pièce.

L’entrée – qui est aussi une sortie 

Il y a d’abord un calendrier manuel à l’ancienne – utilisable à répétition, chaque année – et un troupeau de moutons. Il y a ensuite Die Spinnen. L’araignée tisseuse, l’animal symbolisant l’énergie féminine et la créativité, la femme qui dans la mythologie grecque a réussi à rendre jalouse Athéna la déesse de la sagesse, car elle tissait mieux qu’elle. Peut-être plus instinctivement ? Les araignées, caractérisées par leur habileté extrême à tisser des toiles complexes et par leur patience, inspirent donc l’artiste. Symbole de l’indice et de la recherche, comme référence au film homonyme de Fritz Lang, ou symbole du tissage méticuleux de l’artiste, dès l’entrée nous sommes ainsi invités dans un monde féminin et attentionné.

Un monde inquiétant aussi : un coucou dont les poids sont des souliers. Ils appartiennent à une femme inconnue, d’une autre époque, et dont l’artiste a également trouvé une photographie. Qui était-elle ? Sous le coucou il y a les souliers, et sous les souliers un petit escabeau. Que va-t-il se passer si l’on retire l’escabeau ? Le temps peut-il être condamné et porté à la guillotine ?

La méduse – la femme fatale, la mère, la menace et la possibilité

Est-ce que le temps peut être mis dans une boîte ? Les capsules de temps – et de temporalité – construites par l’artiste et protégées sous-verre sont comme la continuation des « pattes » de la méduse. Méduse, fille de l’union de la Terre et de l’Océan, est une divinité primordiale dans la mythologie grecque : son regard a le pouvoir de pétrifier tout mortel qui la regarde. Elle est parfois considérée comme un monstre et parfois comme victime de sa propre métamorphose capable de métamorphoser les autres (comme le temps). La Méduse puissante – être de la mer, mère primordiale – devient ici le symbole d’une cadence du temps un peu menaçante.

Le bureau – chambre prospective

Le lieu du travail est détourné avec humour. Les nest eggs (l’argent que l’on garde de côté) y jouent le premier rôle. Comme les poules qui feront des œufs. Mais ici les œufs, le trésor doré, sont cassés et vides. On travaille pour le futur – quel futur ? Sont évoquées les « miettes » parfois insignifiantes que l’on garde, les miettesqui peuvent nous sauver en moment de difficulté, les miettes qui terminent un jour – quand l’oiseau a tout mangé.

L’autoportrait de Diane Brigitte Marcelle et les quatre saisons

L’on passe ici, d’un mur à l’autre, du singulier à l’universel, des nageoires de l’artiste aux chaussures des quatre saisons qui rythment les années et leur écoulement.

La salle d’attente – fatalité ou salvation

Une valise posée à même le sol, des cellules du sang, une chaise rouge, le battement du cœur et le cœur d’une montre : ça pique. Cette pièce évoque la manière qu’a le temps de nous percer ; et certaines éternités quotidiennes que nous sommes obligés de subir. Une recherche à propos des temporalités quotidiennes, est une recherche sur la nature humaine : pourquoi est-ce qu’une journée peut passer en trois secondes et une demi-heure durer une éternité ? Pourquoi est-ce que dix minutes dans une salle d’attente peuvent devenir insoutenables, alors que dix minutes de plus le matin dans le lit sont une joie nécessaire ?

La cuisine – le centre dramaturgique

C’est le cœur de la maison : là où tout se passe, chaleur, amour, joies et partages, disputes, tensions et incompréhensions. La cuisine est le lieu où explosent les évidences fragiles de la vie quotidienne. Le café est servi. Un trésor est préparé pour chacun : c’est un coquillage revêtu de paillettes – spirale fatale ou fantastique, l’on ne sait pas. L’heure de la montre de la peinture est celle de l’atterrissage de l’Homme sur la Lune.

La chambre à coucher – enfance et âge adulte à la fois

Ici s’entremêlent le nocturne et le diurne. On imagine une personne assise sur le fauteuil et qui lit. L’on ne sait pas exactement si c’est une chambre d’enfant, de jeune fille ou de femme adulte. Et c’est ce qui crée l’intensité curieuse de la pièce. Comme si les temporalités de la vie d’une femme s’y entremêlaient.

Invitation à se laisser bercer par les histoires qui couvrent le lit – ces « petits mouchoirs » en tissu sur lesquels sont imprimés des rêves, des dictons, des histoires, des évocations à la bible, avec humour, tendresse, et jeu. Toute une série d’éléments qu’il faut chercher, de symboles du cheminement d’une vie. Jolie ligne de fuite (entre le rêve, le cauchemar et le désir) : les sept nains – le harem (pur ?) de blanche neige qui se balade sur le mur…  

« Let me come with you. What a moon there is tonight!
The moon is kind – it won’t show that my hair turned white.

The moon will turn my hair to gold again.

You wouldn’t understand.
Let me come with you.

When there’s a moon the shadows in the house grow larger, invisible hands draw the curtains,
a ghostly finger writes forgotten words in the dust on the piano – I don’t want to hear them.

Hush.

Let me come with you a little farther down, as far as the brickyard wall,
to the point where the road turns and the city appears concrete and airy,

whitewashed with moonlight,
so indifferent and insubstantial so positive, like metaphysics,
that finally you can believe you exist and do not exist,
that you never existed, that time with its destruction never existed.
Let me come with you.

We’ll sit for a little on the low wall, up on the hill,
and as the spring breeze blows around us
perhaps we’ll even imagine that we are flying ». 

Yannis Ritsos, Moonlight Sonata, 1956.

On imagine quelqu’un vivre dans cette maison…

Le temps mis en scène

L’artiste est claire : « ce n’est pas une installation, c’est une mise en scène ». Il y a dans cette dramaturgie des moments d’humour, de tendresse, d’angoisse, de drame sous-jacent et de désirs sous-entendus. Comme si cette exposition était un cabinet – non pas de curiosités – mais de la temporalité quotidienne d’une femme imaginée par l’artiste. L’univers a l’air ludique mais il peut devenir creepy, et donner la chair de poule…

Les grands objets (le lit, le bureau, la table) servent de mise en scène pour les peintures et les petites sculptures méticuleusement fabriquées, toutes à la main, tissées, gravées, collées, cousues, dessinées, peintes. C’est ce contraste qui donne l’essence du temps, qui en effet se déroule surtout dans la fragilité du détail et qui se trouve dans les petites choses. Fragile comme l’équilibre de la vie quotidienne qui peut basculer d’un moment à un autre. Tous ces petits objets démontés et recomposés peuvent alors devenir le temps de chacun d’entre nous. 

Attendre, compter et conter son temps.

Suspendre le temps, le temps d’un choix de vie.

Boire un café dans une cuisine qui a l’air parfaite mais où tout peut exploser d’une minute à l’autre.

Il y a beaucoup de détails, comme quand on garde « trop » de souvenirs de peur d’oublier, quand on prend beaucoup de notes (ou fait des listes) sans trop savoir si l’on s’y réfèrera un jour. C’est un journal intime qui est écrit sur les murs de Nei Liicht. Un journal intime à propos de l’écoulement du temps.

Et traversant cette maison à l’allure par moments vieillotte, et par d’autres enfantine et fraîche, se dégage quelque chose de touchant, une trivialité quotidienne embellie ou ironisée, avec douceur, une vie quotidienne devenue fable et scène d’une pièce à jouer. Un univers entre drame imperceptible et féerie retenue. 

Le temps du quotidien. 

 Texte par

 Sofia Eliza Bouratsis