Julien Hübsch _ walls/origins/replacements _
_ Centre d’art Dominique Lang _ 03.02-07.04.24
« Version finale temporaire »
Pendant trois mois, l’automne dernier, Julien Hübsch (né à Esch-sur-Alzette en 1995) était en résidence à la Cité internationale des arts à Paris. L’exposition walls/origins/replacements est le fruit de ces mois de recherche, d’exploration et de création.
Le jeune artiste, tout juste auréolé du prix Grand-Duc Adolphe au dernier salon du Cercle artistique Luxembourg (CAL), s’intéresse aux traces et aux résultats de l’activité humaine. Julien Hübsch travaille généralement avec des matériaux bruts. Il rassemble bâches, pierres, carrelages, objets, documents, rebuts, bois trouvés dans l’espace urbain, sur des chantiers, sur des routes ou des lieux abandonnés. Cette collection sert de point de départ pour créer des œuvres qui se déclinent sous diverses formes : installations, assemblages, peintures élargies et sculptures. Les matériaux deviennent comme des couleurs sur la palette d’un peintre : il les transforme, détourne, découpe, altère, emballe, empile. Il dépouille les objets de leur fonctionnalité ou retravaille en atelier les matériaux les rendant inutilisables. Ainsi, il en réinvente le sens en les plaçant dans un contexte artistique.
On pense à l’esthétique brute des interventions urbaines telles que les graffitis, le vandalisme, les protestations et les actions artistiques illégales, parfois rassemblées sous le terme de « post-vandalisme », inventé par l’artiste Stephen Burke en 2019.
Le projet walls/origins/replacements s’intéresse à l’histoire du graffiti, non seulement à travers la technique de l’utilisation de la peinture en spray, mais aussi à propos de l’importance de l’espace public en tant que terrain de jeu. Une recherche qui mène l’artiste sur les traces de Gérard Zlotykamien (surnommé Zloty), considéré comme le pionnier de l’art urbain en France, le premier à avoir utilisé la peinture en spray sur les murs, dès 1963. Par un concours de hasards heureux, cette personnalité a émergé plusieurs fois en l’espace de quelques semaines cet automne : l’octogénaire expose au Palais de Tokyo (dans le cadre dela morsures des termites), la Galerie Mathgoth lui consacre une rétrospective et une monographie paraît. Ce qui permet à Julien Hübsch de le rencontrer.
Il retrouve une quarantaine de lieux où Zloty a peint ses Éphémères. Une liste d’adresses, pas toujours très précises, que l’on retrouve entre autres notes exposées au Centre d’art Dominique Lang. Suit un long processus créatif de transformation. L’artiste photographie les murs, forcément repeints et où, plusieurs décennies après, plus rien ne laisse entrevoir les traces des graffitis. Il retravaille ces images numériquement, en leur appliquant systématiquement un filtre noir et blanc aux contrastes marqués et au fort grain, inspiré des photographies de Daido Moriyama. Il les imprime sur des feuilles jaunes, créant ainsi environ 80 fiches entre documentation et expérimentation. Enfin, il en extrait des motifs qui deviennent une sorte de papier peint sur les murs du Centre d’art.
L’ensemble des images sont projetées à l’étage de la galerie, accompagnée d’une bande-son également réalisée à Paris. C’est en quelque sorte une commande d’Emile Van Helleputte, un artiste belge qui était en même temps que Julien à la Cité des arts. « What is the sound of the threshold of a community? » est une sorte d’investigation sonore de l’environnement des artistes.
Visibles aussi dans l’exposition, divers éléments récupérés dans les rues de Paris, sur les itinéraires quotidiens de l’artiste lors de ses explorations, des fragments de murs ou une bâche prise sur un chantier. Au fil des jours, la bâche s’est transformée : elle est marquée de tags et de graffitis, des déchirures y apparaissent, que des scotchs ou des agrafes réparent… C’est un matériau vivant, en constante évolution, dont l’artiste s’empare. Il en expose des extraits, des citations, sans rien modifier ou ajouter. Le résultat esthétique recherché apparaît par recadrage, soustraction, suppression, recomposition, effacement, de manière assez radicale dans la réduction des couleurs et des formes.
La recherche menée à Paris donne à Julien Hübsch un nouveau corpus de matériaux, de quoi nourrir de nouvelles installations pour de nouvelles « versions finales temporaires » d’un travail en constante évolution tout comme l’est le paysage urbain.
France Clarinval, 2024