Empty- Emptiness
Trixi Weis
Dans la nouvelle exposition de Trixi Weis, nous retrouvons des motifs et des questionnements qui ont jalonné son travail depuis toujours.
Elle y poursuit sa critique d'une société de consommation qui laisse l'homme tragiquement seul.
Avec Empty Emptiness, elle convoque le vide pour visiter la Matière et le Temps qui aiment à filer sous nos doigts.
Elle réinvente l’espace d’exposition en créant une nouvelle architecture intérieure, elle prolonge parois et cloisons pour nous mettre face à notre vide existentiel.
L'imagination se déploie librement à travers les sensations et les perceptions du vide, les murs et les miroirs, les tensions et les souffles.
Nous pénétrons les pièces d'une demeure vide de ses résidents, mais pleine de possibles fantômes.
Le vide n’est pas vide, il est habité. Il ne peut être évidé tout à fait de ce qu'il l'emplit, à savoir une matière fatiguée, constituée de particules n’existant pas réellement, des spectres nonchalants, pas assez énergiques pour pouvoir vraiment se matérialiser et vivre pleinement.
Être ? Être hors de l'héritage de la société de l'Avoir.
Être matière loin de la matière, voilà le nouveau paradoxe qui nous est demandé de résoudre.
Trixi Weis appelle le Temps à s'incarner, à se matérialiser, loin de toutes les projections et les désirs qui poussent quotidiennement le monde à fonctionner et à posséder.
Toujours, l'artiste résiste contre un monde trivial et concret, qu'aspirent quotidiennement nos ventres tendres.
Who have you become ? agit comme un miroir, afin que celui qui regarde, se pense ici et maintenant, mais aussi dans le Temps, le temps passé de l'enfance, qu'il soit perdu à tout jamais ou retrouvé délicieusement ou bien encore le temps à venir.
Poète lunaire, princesse, indienne d'Amérique ou même sorcière, pirate ou policier, nous nous rappelons nos vies d'enfant sur un air des Trente glorieuses, celui de la série télévisée Winnetou. Nous voguons entre nos écueils, bribes de contes de fée, souvenirs, rêves de jeunesse, constructions fantasques et chimériques.
Qui êtes-vous devenus ?
Cette sentence résonne à tous les étages.
Enfants naïfs, nous jouions dans nos costumes multicolores.
Qui sommes-nous devenus ?
Sommes-nous ces habitants invisibles qui auraient laissé quelques traces d'eux-mêmes ? Une armoire et un fauteuil anciens voire obsolètes, des déguisements d'enfants... Sommes-nous encore là ?
Dans l'espace clos d'un couloir qui se resserre de plus en plus, un fauteuil dépouillé, totalement déshabillé est seul, coincé, face au mur. Il a perdu toute fonction, on ne peut plus s'y assoir. Eclairé par une lumière qui semble le poursuivre, le fauteuil dénudé, tourne le dos à ce qui a été parcouru et regarde ce qui reste encore à traverser.
Nous sommes formes, des formes inspirées, mais aussi aspirées par une solitude et une fin inéluctables, des formes contraintes à la transformation et à l'éternel recommencement.
Sugar, Trixi Weis expose la volonté de cristalliser et de fixer le désir dans le sucre pour tenter de pénétrer la matière, de la contrôler jusqu'à notre propre oubli dans un présent impalpable.
Tout file, revient, retourne, fuit, et s'aplatit comme une pâte parfaite, prête à penser les objets du futur.
Ce qui a fait plus que son temps, c'est cette société de consommation.
Regards dans le vide, superficiels, encombrement et manque de profondeur, les qualités morales et intellectuelles de notre société manquent. Nous sommes las face aux choses de la vie, nous voudrions jouer encore, sans plus vraiment savoir comment le faire, malgré nos armoires et nos armoires de mémoires, nos saturations d'images et tous les écrans qui s'interposent entre la réalité et nous. Nous cassons nos jouets sans joie et les remplaçons par d'autres.
Nous vivons un trop plein qui n'arrive plus à accueillir la vie et ses vrais besoins, nous nous remplissons encore et encore. Ce trop plein est plutôt le vide de l'abysse.
Sugar est l’appel à remplir nos vides, nos ventres, nos appétits, notre insatiabilité.
C’est le retour à la cuisine de l'enfance, à sa tendresse, aux jeux de l'imaginaire. Nous voulons être rassurés, nous lover dans la douce sécurité du sucre.
Matière carbonique, le sucre est éphémère et fragile, comme la vie qui pourrait être ôtée, soufflée, anéantie.
Semblable à l'argent, le sucre est une addiction sociétale dont on se gave, qui nous mange, nous dévore.
Seuls la matière pâte à sucre et les outils qui la travaillent sont exposés sur un pilier.
Aux murs sont projetées trois vidéos, représentations impalpables et immatérielles de nos possessions sans cesse renouvelables. Nous voyons des sculptures miniatures en sucre - une maison, une voiture, un téléviseur – qui, tour à tour, explosent. N'en restent que des traces.
Trixi Weis se hisse hors de la caverne, sa colère immédiate a soufflé l'objet.
L'air propulsé, mieux que le sucre remet en mouvement ce qui était stagnant, ce qui était cristallisé, sec. L'air rentre là où il y a blocage, résistance. Il soulève l’objet en pâte à sucre, brise les chainons du matériel et le fait retomber en éclats et en débris infimes.
Le jouet est cassé, en miettes. Alors le cycle infernal repart, celui du refaire, produire, casser à nouveau, sans cesse, jusqu'au débordement.
A l'horizon, nous apparaissent les dérives destructives et humaines, la terre ravagée.
Un Temps sans humanité viendrait, si l'homme ne se réinventait plus, ne se récréait plus.
Mais cette pâte nous attire, toujours et encore cet appel à créer des formes sans cesse nouvelles, et ce, au delà même de l'écoeurement d'un trop plein de sucre.
Le rouleau à pâtisserie, pensé comme un outil de puissance sociale a sans doute cette habilité à faire table rase du passé. Avec lui, la matière cède par la contrainte, se polit autant qu'elle résiste mais peut aussi, peut-être, reprendre ses droits.
La pâte profonde nous capture et nous donne à voir ce rêve d'unité où nous serions à nouveau une même et seule matière. Elle est le moment où notre course est ralentie, où notre désir de sucre cherche la lenteur, la plénitude, la créativité et la fécondité. La douceur et la souplesse de l'enfance se retrouvent ici encore dans la pâte, avant que ne s'installe la dureté.
Détruire et vider. Recréer.
Sophie Delvallée